jeudi 29 août 2013

GR - A Reverse Age


Date de sortie : 30 octobre 2012 | Label : Mexican Summer

Dix mois de retard et même, pour être tout à fait honnête, sept années. Le premier long-format de GR date de 2007 (Xperiments From Within The Tentacular) mais déjà, à l'époque, on y trouve tout ce qui fait sa singularité, ses partis pris et sa doxa érigés en charte esthétique. Un line-up réduit à sa plus simple expression - lui et seulement lui derrière chaque instrument - et l'utilisation du quatre pistes analogique. Agrémenté de ce qu'il écoute, ce qui l'influence, ce qu'il veut perpétuer ou qui coule en lui. Un esprit, une musique. Celui et celle qui irriguent les disques des illustres tarés de Chrome par exemple ou encore ceux de Michael Yonkers avec qui il a d'ailleurs enregistré The High Speed Recording Complex (en 2010). Et encore, il s'agit de ne pas trop se mouiller, parce qu'on pourrait également citer bon nombre de combos obscurs qui pullulaient durant les '60s/'70s dans bon nombre de garages, qu'ils soient européens ou américains, et dont on retrouve quelques maigres traces dans les compilations type Nuggets ou Pebbles. Et puis les Stooges, voire les albums solo d'Alan Vega, sans oublier le Magic Band du Captain Beefheart et quelques représentants de la Kosmische Musik. Et on s'arrêtera là car on ne peut faire une liste exhaustive des accents familiers (mais aussi souvent complètement inconnus) qui peuplent sa musique où transparait tout ce que le rock'n'roll a pu avoir de plus sauvage, transgressif, obscur et habité. D'autant plus que les disques de GR ne sont nullement des hommages et encore moins des plagiats, ils ne regardent pas en arrière mais plutôt droit devant en s'appropriant quelques codes apparus au siècle dernier pour les faire évoluer aujourd'hui. Un emprunt au service d'une interprétation, d'une vision et non pas une simple reproduction, une pâle copie. Ce qui donne l'envie de parcourir sa discographie et tant pis si on le fait à rebours. On commencera ainsi par la fin et A Reverse Age paru, donc, il y a maintenant dix mois.

GR pour Grégory Raimo que les quelques lecteurs assidus de ce blog ont déjà rencontré à la faveur de la sortie bien actuelle, elle, de Massacre-Rock Deviant Inquisitors, dernier disque en date des furieux Gunslingers auxquels il prête sa guitare et ses onomatopées. Il y a beaucoup de connexions entre les deux projets, à commencer bien sûr par la musique mais celle-ci, lorsqu'elle est élaborée en solo est sans doute un poil moins dense qu'en trio. En revanche, elle garde toute sa richesse. Et il s'agit bien plus d'une nuance que d'une réelle différence. Pour le reste, il s'agit toujours de rock'n'roll, certes tordu dans tous les sens, arraché et trituré pour lui donner une forme fuselée à même de traverser sans encombre les montagnes de sauvagerie et d'expérimentations en tout genre que GR lui fait subir, mais de rock'n'roll tout de même. Un truc binaire avec une batterie qui fait poum-tchack, des ondes caoutchouteuses qui font bong-bong et une guitare qui lance des wah-wah ou des fuzzzz à la face de l'auditeur tout en lui déversant un discours assez incompréhensible au creux de l'oreille. Enfin, en tout cas, voilà pour l'ossature principale parce qu'A Reverse Age est tout de même bien plus complexe que cela. À commencer parles accidents rythmiques qui font que l'architecture des morceaux, loin d'être gravée dans le marbre, mute sans que l'on s'en rende bien compte. C'est que chaque instrument est joué et enregistré en une seule prise. Une véritable gageure mais qui apporte beaucoup à la musique de GR, lui conférant un côté humain et vivant qui touche énormément. Ensuite la voix, qui adopte une diction et use de phonèmes anglo-saxons sans que l'on puisse reconnaître le moindre mot. Pourtant, loin de nuire au propos, elle permet de l'affermir et sans elle, les morceaux ne seraient plus tout à fait les mêmes. Et enfin, la guitare. La grande affaire d'A Reverse Age.

Modelée à grands coups de pédales d'effet, elle trace des lignes sinueuses qui rappellent que pour aller d'un point A à un point B, on peut aussi oublier la ligne droite ou le vol d'oiseau et préférer les digressions, les chemins de traverse, les courbes et les hachures. Les méandres soniques dont elle est à l'origine sont insensées et subjuguent en permanence. Le disque devient labyrinthique et on ne sait jamais trop où va déboucher un morceau. Ainsi parée d'arabesques acides, la musique d'A Reverse Age devient extrêmement psychédélique. Bien sûr, tous les morceaux sont intéressants et, bien que portés par la même personne et les mêmes instruments, font preuve d'une grande variété. Dès Low-Born, le disque accapare : une batterie très carrée tout en cymbales conquérantes qui tente de contenir une guitare qui déborde de partout. Une écoute attentive permet de mettre à jour les petits accrocs qui entaillent le tissu rythmique du morceau, lui conférant des accents drone assez intrigants. Vapours Invisible qui le suit immédiatement est quant à lui strictement instrumental et GR y laisse folâtrer sa guitare. Dès ce moment-là, elle prend le contrôle et trace les contours d'un acid-rock très punk et spontané qui culmine probablement au cours des neuf minutes du titre éponyme. Un frisson parcourt l'échine. Et se maintient tout du long, y compris au cours d'Hymn Of Pan aux paroles empruntées à Shelley, titre acoustique et légèrement plus folk aux cordes tout à la fois sèches et liquides. Morceau parfait qui clôture idéalement la face A. La B est du même acabit, alignant successivement Spectre Of the Brocken, Brädtenehend et The Primitive Hoodoo sur lesquels plane les ombres alambiquées de Beefheart ou Hawkwind, balançant des soli hallucinés ouvrant les portes de la perception à grands coups de groles. Il est alors temps pour Action Vision, punk et psychédélique, de mettre un terme à ces trente-huit minutes d'un autre temps - ou plutôt hors du temps - et d'un autre espace.

Tout ce pavé et tous ces mots pour le dire tout de même : on parle ici de quelqu'un qui s'inscrit dans une démarche totalement libre et indépendante, jouant tout seul sur ses disques, les enregistrant, les sortant sur son propre label (excepté pour celui-ci). Quelqu'un qui, avec les Gunslingers, a connu les éloges de Julian Cope (pas n'importe qui, vous en conviendrez), a été invité à participer à des festivals par Brian Turner de WMFU, par les Germs aussi, a partagé la scène avec Michael Yonkers et qui végète dans un quasi-anonymat de ce côté-ci de l'océan Atlantique. Pourtant, ses disques regorgent d'inventivité et d'intransigeance, débordent de talent et offrent une vision qui frappe par sa grande pureté. Un truc sauvage et lo-fi, qui ne s'épuise pas et n'épuise pas, quelque chose qui vous rappelle pourquoi vous êtes fanatique de musique. Allez sur le site des Disques Blasphématoires Du Palatin et achetez, même les yeux fermés, n'importe laquelle des occurrences qui y sont présentées. C'est la promesse de toucher du doigt une enclave autonome qui ne demande qu'à sortir de l'obscurité. Un fragment de sauvagerie parfaitement exécuté qui s'incruste sur la platine et qu'il devient bien difficile de déloger. 

Grand.

leoluce



samedi 24 août 2013

Dans les rayonnages de la cave : notre discothèque idéale, 2/5

Suite de notre tour d'horizon des petites créatures de chevet qui hantent depuis plus ou moins longtemps les nuits des rédacteurs de ce blog. 20 disques supplémentaires, toujours par ordre alphabétique, quel que soit le style ou l'époque, toujours un seul par artiste ou du moins par projet, toujours du sombre, de l'immersif, du déglingué, du gothique, du déliquescent, parfois violents ou dérangeants, à d'autres moments contemplatifs, mélancoliques voire même planants mais toujours en proie à quelque tourment sous-jacent à l'image des albums que nous chroniquons depuis près d'un an et demi maintenant.

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- Clark - Body Riddle (2006)

Parce que les vrilles et les arabesques fracturées ne connaissent que peu de meilleurs maîtres, Clark devait en être, et avec lui Body Riddle. Pour les déconstructions jouissives, la fulgurance, les évolutions vicieuses, l’IDM à base de grand huit. Et pour The Autumnal Crush. Cela dit, on a une pensée pour Clarence Park, car dans le cas de Chris Clark, le meilleur est aussi au début. (M)



- Coil - The Ape Of Naples (2005)

Si les débuts du groupe à géométrie variable de l'Anglais John Balance n'ont pas toujours très bien vieilli, cet album posthume complété par son producteur et ami de longue date Peter Christopherson témoigne d'une carrière passée à repousser les frontières de la musique industrielle en affinant leur univers fantasmatique et torturé, dont l'orientation progressive vers l'ambient et l'électronique expérimentale continue d'infuser les rêves troublés de leurs héritiers les plus radicaux, d'Imaginary Forces à Fuck Buttons en passant par Bronnt Industries Kapital (cf. notre précédent volet) ou Ektoise. (R)


- Continuum - Continuum 2 (2007)

La rencontre entre Steven Wilson (Porcupine Tree, Bass Communion) et Dirk Serries (Vidna Obmana, Fear Falls Burning) aura donné deux albums hors-format parmi les plus ambitieux que le drone et le dark ambient aient jamais connu. Trois titres d'environ 20 minutes chacun (remixés pour certains par Justin K. Broadrick sur le tout aussi indispensable Continuum Recyclings Volume Two) et autant de plongées dans le cortex malsain de quelque reptile à visage humain, culminant sur ce second volet dont les riffs de guitares hiératiques et plombés flirtent avec le doom le plus poisseux et abstrait. (R)


- Council Estate Electronics - Kitsland (2009)

Énième projet du susnommé Justin Broadrick qui retrouve ici Diarmuid Dalton son compère au sein de Jesu et surtout Greymachine dont on reparlera, Council Estate Electronics voit les deux Anglais se délester des guitares bourdonnantes de leur célèbre projet shoegaze-metal pour évoquer à coups de pulsations anxiogènes et de synthés analogiques rampants et saturés les décors de béton d'un futur déserté. Kitsland doit autant à John Carpenter qu'aux incursions synthétiques de Final, projet solo de Broadrick que CEE laisse néanmoins loin derrière avec ce sommet d'anticipation crépusculaire balayé par les vents de limaille et de fumées délétères. (R)


- The Cure - Pornography (1982)

Situé quelque part entre un froid martial et l’urgence brûlante de crier ses démons pour mieux leur rendre hommage, Pornography demeure, increvable, comme un des plus beaux disques noirs qu’il soit. Dans ce cloaque pourtant, A Strange Day (favori personnel) donne envie de courir et de sauter partout. Un monument de coldwave donc, le plus funeste et le meilleur album des Cure. (M)



- The Curse Of The Golden Vampire - The Curse Of The Golden Vampire (1998)

Avant d'entamer la mue hip-hop de Techno Animal en compagnie d'El-P, Dälek ou encore Antipop Consortium au micro, les Anglais Justin Broadrick (encore lui) et Kevin Martin (The Bug, King Midas Sound) invitaient déjà Beans, rappeur de ces derniers à poser son flow mathématique sur Substance X : assurément le morceau le plus accessible de cette collaboration avec Alec Empire dont l'abstract industriel abrasif et strident sonne comme la BO imaginaire d'un cauchemar cyberpunk que viendra dynamiter six ans plus tard (mais sans l'Allemand cette fois) le brutal Mass Destruction, quelque part entre grind et digital hardcore. (R)


- Dälek - Absence (2004)

Étape logique entre la tension barbelée de Negro Necro Nekros (2002) et les nébuleuses post-shoegaze plus feutrées voire mélancoliques du parfait Abandoned Language (2007), Absence n'a rien d'un compromis pour autant, noyant le hip-hop noisy et martelé du rappeur Will Brooks et de son producteur Oktopus dans un abîme de guitares bourdonnantes et de drones lancinants. Peut-être pas aussi flippant que Derbe Respect, Alder enregistré la même année avec les vétérans krautrock de Faust et lorgnant plus que de raison sur l'indus et le dark ambient mais jamais beats viciés, atmosphères étouffantes et flow vindicatif ne trouveront pareil équilibre à nouveau sur un album entier du duo new-jersien. (R)


- Dazzling Killmen - Face Of Collapse (1994)

Extrêmement glauque, méchant et complexe, Face Of Collapse est le deuxième album de Dazzling Killmen mais le premier où le trio devient quatuor. Et avec une guitare en plus, leur musique s'épaissit : on retrouve les mêmes ingrédients que sur Dig Out The Switch, leur long-format inaugural - en gros, un noise-rock extrêmement agressif et technique s'appuyant sur une rythmique venue du jazz (ça ne s'entend pas et ça fait pourtant toute la différence) - mais décuplés, proches de leur version paroxystique, à l'image du morceau éponyme où calme plat et cavalcades saccadées et épileptiques se succèdent sur près d'un quart d'heure. Tout y est repassé au feutre noir, Nick Sakes éructe, sa guitare dessinant de profondes entailles dans des morceaux aux équations insensées. Un disque majeur qui demeure hors du temps par la sécheresse et la violence qui l'habitent. 20 ans après, son éclat froid et tranchant irradie comme aux premiers jours. (L)



- Deaf Center - Pale Ravine (2005)

Premier album du duo norvégien, Pale Ravine se dresse tout en jeux d’ombres et en inflexions dramatiques. Jamais désincarné, l’ambient blême et doux parcourt les rives d’un lac gelé, se fond aux cristaux des cimes et se mêle de néo-classique charnel. Chef-d’œuvre. (M)




- The December Sound - The December Sound (2007)

Sorti en 2007 sur l’allemand 8mn Musik, l’unique album à ce jour de The December Sound s’est vu réédité en 2012 par Cranes Records, label du Mans. Aussi magistral que lapidaire, The Silver Album convoque du shoegaze poisseux, l’hypnose la plus pure, des désillusions saturées et des froissures fiévreuses dont on ne vous cachera pas la sensualité. (M)



- Diabologum - #3 (Ce n'est pas perdu pour tout le monde) (1996)

La pire fiction d'anticipation jamais dessinée par le rock français en est aussi la plus fascinante et insaisissable créature. De ses géniteurs Michel Cloup et Arnaud Michniak, futurs Expérience et Programme, elle a hérité sa vision désabusée d'une société où les solitudes croisent à peine leurs regards vides d'espoir, sa gloutonnerie musicale phagocytant indus, free jazz, noise, samples de films, post-rock naissant (voire même hip-hop pour la scansion du fabuleux Les Angles anticipant les abstractions angoissées de Programme), sans parler de cette ambition narrative qui fera date sous nos horizons mais n'a toujours pas trouvé d'héritier digne de ce nom. (R)


- Diaphane - Samdhya (2010)

Ab Ovo était évoqué plus haut dans l’alphabet, en voici une moitié. Régis Baillet, dit artistiquement Diaphane, qui en 2010 a fait cavalier seul le temps d’un Samdhya qui parvient à entrelacer le chirurgical à l’organique, tant le disque semble prendre pied dans le givre des steppes. Plus craquelée qu’un sol hivernal, l’IDM de Diaphane manipule les silences, l’angoisse, la poésie et la démence. Un album qu’on ne saurait oublier. Et la suite est pour le 10 septembre. (M)


- DJ Hidden - The Words Below (2009)

Ardent et convulsif, le deuxième long format du néerlandais DJ Hidden a l’intelligence de laisser infuser des trames mélodiques, sorte de liant orchestral ou ambient, qui fleurit entre deux décharges. Laissant la place à des crapuleries au goût de breakcore et à du tabassage vicieux qui vous endort pour mieux faire mal, The Words Below est sans conteste un des meilleurs albums de drum’n’bass de ces dernières années. (M)



- Dr. Octagon - Dr. Octagonecologyst (1996)

Dr. Octagonecologyst, fruit de la rencontre entre Kool Keith (leader des influents Ultramagnetic MC's) et Dan The Automator (épaulés par Kut Masta Kurt à la production, Q-Bert aux platines, le flow de Sir Menelik et aussi DJ Shadow le temps d'un remix), est un chef d’œuvre. Il n'y a pas grand chose à en dire de plus. Ses samples foutraques, ses productions inventives et élégantes, ses paroles hilarantes et crues sur le sexe, la science-fiction et l'horreur et sa grande mélancolie culminent sur absolument tous les titres d'un album à la fois old school et novateur. Il n'a jamais vieilli et ne vieillira sans doute jamais, s'éloignant des classiques pour en devenir un à son tour. Monument. (L)


- Einstürzende NeubautenPerpetuum Mobile (2004)

Repue de la sauvagerie percussive des années 1980-90, la clique de Blixa Bargeld prend avec Perpetuum Mobile un ton à la fois respirable et entêtant, rigide mais bouleversant. La rondeur et la majesté du chant de Bargeld se conjuguent aux instrumentations martelées, métalliques et largement fondées sur du matériel à vent. Immense album dont le groove semble figé dans une gangue de métal et qui fait regretter de ne pas parler allemand. (M)



- Matt Elliott - The Mess We Made (2003)

En voilà un pour lequel les mots manquent. Parce que cet album peut vous changer à jamais, parce qu’il contient plus de désespoir, de sublime innocence qu’une vie ne saurait embrasser. Si les albums solo de celui qui se tient derrière The Third Eye Foundation confinent tous au sublime, The Mess We Made n’a jamais quitté le firmament. Comme dirait Rabbit : peut-être le plus bel album de la décennie. (M)



- Alec Empire - The Destroyer (1996)

Géniteur du digital hardcore avec Atari Teenage Riot, Alec Empire joue les fossoyeurs de la drum'n'bass en pleine suprématie des Goldie et consorts avec ce manifeste no future. A force de vouloir tout détruire, le Berlinois n'en finit plus de réinventer l'électro radicale et cette fois c'est le breakcore qui émergera de ce gargantuesque tas de cendres et de circuits rouillés dont les cauchemars épileptiques et le nihilisme déliquescent - qui n'ont sûrement pas manqué d'influencer Aphex Twin et son Come To Daddy - ont rarement été égalés depuis. (R)



- Empusae & Shinkiro - Organic.Aural.Ornaments (2011)

Rencontre du Belge Empusae, sommité de la scène électro-industrielle, et du Japonais Shinkiro, Organic.Aural.Ornaments verse dans un dark ambient cryptique, qui ne renie point les affections tribales du premier et fait la part belle à de longues traînées mélodiques. Un voyage au centre de la terre, lyrique et terrifiant. (M)



- The Ex & Tom Cora - Scrabbling At The Lock (1991)

Chacun son The Ex. Le mien est ouvert aux quatre vents et je ne retiens de leur discographie pléthorique (qu'un blog entier ne suffirait à détailler) que les albums de rencontre. Qu'il s'agisse du saxophoniste éthiopien Gétatchèw Mèkurya le temps d'un Moa Anbessa fabuleux ou du violoncelliste américain Tom Cora, c'est quand le collectif néerlandais frotte son post-punk aux frontières floues à d'autres que les siennes qu'il devient passionnant. Ce qui frappe ici, c'est le dialogue permanent entre ces guitares à la syntaxe singulière (et leurs allusions rythmiques à tout un tas de folklores) et le violoncelle sauvage, abstrait, riche et virtuose dessinant une sorte de cabaret punk extrêmement intelligent et atypique. Très sec, très long, fureteur et tout le temps intrigant, Scrabbling At The Lock est tout aussi marquant que sa pochette (la fameuse photographie d'un train "tombé par la fenêtre dans la rue" en gare de Montparnasse en 1895). En 1993 sortira And The Weathermen Shrug Their Shoulders sans doute un poil plus cohérent mais avec peut-être aussi un tout petit peu moins de surprise et donc de charme. (L)


- Field Rotation - Acoustic Tales (2011)

Dans la catégorie œuvre électro-acoustique qui bouleverse tout sur son passage, impossible d’omettre Acoustic Tales. Entre des précédents plus électroniques et des travaux récents superbes et foncièrement ambient, cet album s’inscrit dans l’œuvre de Chistoph Berg comme un joyaux terrassant, étoffé de cordes plus sensibles que des terminaisons nerveuses, et pétri d’une beauté qui déchire doucement à l’intérieur. (M)
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En espérant vous avoir donné quelques pistes de découvertes diverses et variées, et que celles-ci vous marqueront autant que nous.

La suite bientôt...

Manolito, leoluce & Rabbit

samedi 17 août 2013

Gunslingers - Massacre-Rock Deviant Inquisitors



Date de sortie : 29 juillet 2013 | Labels : Riot Season / Les Disques Blasphématoires du Palatin

D'accord, celui-ci dépasse à peine le quart d'heure et ne comprend que deux pauvres morceaux, Massacre-Rock Deviant Inquisitors Part 1 puis Part 2. Le tout tient sur une face de vinyle blanc engoncée dans une pochette qui privilégie le noir et les nuances de gris. Mais une fois posé sur la platine, ce petit bout de plastique provoque une addiction irrévocable, instantanée. Une basse arachnéenne qui ne cesse de muter, une batterie toute en finesse et cymbales incisives, voilà pour la rythmique tout aussi marteau-piqueur que malléable et inventive. Ensuite la guitare, modelée à grands coups de fuzz et de wah-wah, tronçonnant des riffs déviants et définitifs au kilomètre. Ces trois-là associés dessinent les contours d'un proto-rock barbelé mêlant freakbeat, frat-rock, punk et psychédélisme, lançant ses notes et ses idées dans un mouvement qui hésite en permanence entre abréaction et aliénation. Extrêmement denses, il est bien difficile de décrire ce par quoi les deux Part font passer. C'est qu'en plus, la voix qui surplombe le raffut sus-mentionné évoque un ersatz de Donald Duck passé au napalm. Un timbre qui rappelle de loin celui de Jello Biafra, en plus grave et dégénéré, sans cesse partagé entre yodel et chewing-gum. Au même titre que les instruments qui la portent, elle aussi fait fortement douter de la santé mentale des protagonistes. De qui s'agit-il d'ailleurs ? Ils sont trois et portent le nom de Gunslingers. Antoine Hadjioannou aux prophetic beats, Matthieu Canaguier à la thunderbass, soit les deux tiers d'Aluk Todolo. Puis GR (Gregory Raimo) à la guitar distillation et aux arguments, soit le big boss des Disques Blasphématoires du Palatin ayant sorti sous son nom propre quelques disques vénérant le quatre pistes analogique et amalgamant blues, garage, psychédélisme et un petit peu tout ce que ses amours musicaux, bien larges, lui suggèrent. Empruntant à Aluk Todolo son sens du tarabiscoté efficace et à GR son amour des '60s et du garage, Gunslingers sonne exactement comme ce que promet leur rencontre.

Difficile de différencier la Part 1 de la Part 2, en revanche il s'agit effectivement de Massacre-Rock qui donne plus d'une fois l'impression que les Trashmen improvisent avec les Dead Kennedys, qu'Acid Mothers Temple force sur le bourbon, qu'Hyckoids délaisse sa verte campagne et ses champs de blé et de maïs pour quelque chose de plus urbain. Ce qui accroche, c'est d'abord le côté sans queue ni tête de ces deux morceaux, leur sens du foutraque bien évidemment très structuré. Si l'on se prend à écouter chaque instrument en faisant abstraction des deux autres, on voit bien à quel point tout cela est très carré. Deviant peut-être mais Inquisitors avant tout. Les lignes de basse donnent le tournis - littéralement - et tapissent le moindre recoin des compositions. La batterie, extrêmement féline, griffe le tempo, provoquant force estafilades et écorchures dans le tissu caoutchouteux que finissent de déliter les attaques régulières de cette guitare singulière, tout à la fois bavarde et ténue. Ici, pas de soli à vingt-cinq doigts mais plutôt un éventail de fulgurances radicales et contondantes qui hypnotisent carrément. Et puis, cette voix toujours, dont on ne sait trop ce qu'elle raconte mais qui persuade. Elle pourrait réciter le bottin qu'on la suivrait tout de même. Tout cela concoure à l'édification d'une belle tranche de rock saignante et sans la moindre once de gras. Tout en nerf et déviances, Massacre-Rock Deviant Inquisitors frappe aussi par sa densité et la cohésion qui l'anime : quoi qu'il fasse, le triangle reste soudé, bien campé sur ses sommets et ses angles. Où qu'ils aillent, ils y vont ensemble. Pas un instrument en avant au détriment des deux autres et tous au service d'une musique sauvage et plombée qui ne cache pas son héritage mais marche à côté, récitant les Tables de la Loi du binaire, se les appropriant pour mieux les décliner à sa manière. Il faut dire aussi qu'il s'agit de leur troisième effort (un No More Invention pourtant bien inventif  en 2008 et Manifesto Zero deux ans plus tard), ce qui explique sans doute l'extrême malléabilité de l'ensemble. Les changements de rythmes, les bifurcations et les travers ont beau être nombreux, fluidité et dynamique restent préservées et si la moindre seconde ne laisse augurer celle qui la suit, Gunslingers, par le biais d'une boussole intrinsèque, sait en permanence où il va.

Alors bien sûr, ces deux titres frisent le trop-plein et débordent de partout. En revanche, ils restent en permanence bien arrimés à l'axe principal, fût-il parfaitement sinueux. De quoi désorienter l'auditeur, de quoi l'accrocher aussi complètement. C'est bien ce qui fait de ce disque un indispensable. Un tout petit peu plus d'un quart d'heure peut-être mais avec une telle intensité que l'on ne peut que s'incliner.

Rock'n'roll pas mort !




leoluce

lundi 12 août 2013

Dans les coulisses du prochain album de Tapage - Part 3


Tapage sort les violons, ou plutôt le violoncelle dans ce troisième volet de notre carnet de bord exclusif. Définitivement ambitieux, son prochain album 8 verra donc le beatmaker hollandais de l'écurie Tympanik revenir aux fondamentaux de son passif d'instrumentiste, sans délaisser pour autant la virtuosité rythmique qui a fait sa renommée. Mais tout de suite la parole à l'intéressé, qui nous explique les tenants et aboutissants de sa collaboration avec Dianne Verdonk, violoncelliste que l'on entendra sur au moins l'un des huit morceaux du successeur de Seven.

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Tapage - 8 : Following the process of writing an album, part 3.

Hey all !

For the new album I'm incorporating a lot more acoustic sounds and instruments than before. Over the years I have collected a lot of small instruments like xylophones, flutes and shakers. One of the latest instruments I bought was an awesome blue Ukelele which I've already used on two of the new tracks. Long ago, I started my career in music as a guitar player, making it easier for me to play any type of fretted instruments with strings.

Usually I have no trouble to squeeze something usable out of nearly any type of instrument I come across. When I was writing the songs for Fallen Clouds I had bought a second hand standup piano on which I recorded the parts for The Silent Hour :


This time around though, I really wanted to record some heavily melancholic cello parts. My own skills on cello are pretty much non existent, but fortunately a good friend of mine, Dianne Verdonk, is a very experienced player and agreed to help me out. I wrote the parts on my brand new Ukelele (because Ukelele and Cello are very similar instru... oh never mind...) and send her a mockup guitar version of what I had in mind. Here is a short video of the recording session we did a few weeks later :


Now it's time to further arrange the recorded parts and turn it into a full length track !

Tapage

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Traduction

Salut tout le monde !

Pour le nouvel album je suis en train d'incorporer beaucoup plus de sonorités acoustiques et d'instruments qu'auparavant. Avec les années j'ai collecté un tas de petits instruments comme des xylophones, des flûtes ou des shakers. L'un des derniers que j'ai achetés est un incroyable ukulélé bleu que j'ai déjà utilisé sur deux des nouveaux morceaux. Il y a longtemps, j'ai débuté ma carrière musicale en tant que guitariste, ce qui facilite mon approche de toutes sortes d'instruments à cordes frettées.

D'habitude je n'ai pas trop de problème à faire sortir quelque chose d'utilisable d'à peu près n'importe quel type d'instrument. Quand je composais les morceaux de Fallen Clouds j'avais acheté un piano vertical de seconde main sur lequel j'ai enregistré les parties de The Silent Hour.

Ce coup-ci néanmoins, je tenais vraiment à enregistrer quelques parties de violoncelle fortement mélancoliques. Mes propres talents de violoncelliste sont à peu près inexistants, mais heureusement une bonne amie à moi, Dianne Verdonk, est une instrumentiste expérimentée et a acepté de me donner un coup de main. J'ai écrit les parties sur mon ukulélé tout neuf (car le ukulélé et le violoncelle sont des instruments très simila... oh bon on s'en fout) et je lui ai envoyé une démo de guitare de ce que j'avais en tête. Voici une courte vidéo de la session d'enregistrement qui s'en est suivie quelques semaines plus tard.

Maintenant il est temps d'arranger plus en profondeur les parties enregistrées et d'en faire un morceau complet !

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Quelques liens

vendredi 2 août 2013

Ben Lukas Boysen - Gravity


Sortie : 17 juin 2013 | Label : Ad Noiseam 

Étonnante est la difficulté de ne plus dire "Hecq" pour s’y référer. Pourtant l’emploi par Ben Lukas Boysen de son nom authentique pour signer son huitième album s’inscrit dans une cohérence, celle de ses dernières œuvres, la bande-originale charbonneuse de Restive et celle, concrète et magnifique, de Mother Nature. En terme de discographie et plus par la densité que par le nombre, Hecq est un peu à l’IDM ce que Sonic Youth est au rock expérimental. Un mastodonte. Une comparaison qui, bien évidemment, s’arrête là, mais c’est pour cette raison que l’on ne se lancera pas dans le détail de son œuvre aujourd’hui. Précisons tout de même que depuis 10 ans, l’Allemand tient le haut du pavé d’une scène électronique allant de l’ambient au breakcore et ajoute à la composition une situation de sound-designer pour des clients commerciaux souvent haut placés. Alors qu’il n’y a pas si longtemps il s’essayait au dubstep gracieusement déchiqueté (Avenger, Enceladus), des disques comme Steeltongued, Bad Karma ou Night Falls (l’innaltérable I Am You) ont fondé la puissance et l’autorité évocatrice de sa musique. 

Plus qu’un renouveau, Gravity est un commencement. Plusieurs années furent nécessaires pour en accoucher, et le virage négocié prend la forme d’une épingle. Le mouvement qui s’opère s’apparente au passage de la violence des crevasses à la gravité des souffles, de l’ambient le plus polaire au lyrisme d’un piano, d’une noirceur défragmentée à des flots hiératiques. Impression probablement très personnelle que d’éprouver de grandes variations de dynamique selon les écoutes. Parfois la dimension immatérielle et purement ambient domine, se déployant sur de longues introductions (To The Hills), alors que plus tard, les majestueuses secousses débordent et inondent le cosmos. En réalité les deux pendants cohabitent et structurent Gravity, tout en dispersant pour qui le souhaite une sensation d’équilibre changeant.  

Dans le parcours du compositeur, seule Mother Nature pouvait légèrement augurer la matière qui constitue Gravity. Seulement, l’apaisement sensible et l’étoffe néo-classique ne viennent pas seuls, le plus imprévu reste ces irruptions de post-rock, qui se dessinent en longs courants progressifs puis explosent en parois vrombissantes et architecturales. Le morceau Gravity fonde cette structure, développant d’abord une mélodie en eaux profondes, puis peu à peu, le cheminement bouleversant des notes de piano les amène à s’affermir, s’élever, puis voltiger littéralement lorsqu’un socle de noise s’en empare. Fait de nuages de drums, de froissures élastiques et de raz-de-marée, le diptyque Nocturne 1 et 2 modèle une fibre particulière, à la fois épique et tendre, qui se distille au gré des huit titres. La substance de cet album intègre un travail orchestral qui sonne comme mille morceaux de crépuscule, des instants de violence beaux à s’esquinter les nerfs, et une épaisseur de tristesse qui, si on n’y prend pas garde, vous plonge des boules de plomb dans l’estomac. 

Cela faisait un moment que Ad Noiseam n’avait pas sorti un objet d’une telle trempe émotionnelle. Et au-delà du sensible, Gravity se révèle formellement comme une splendeur. Quant à Ben Lukas Boysen, on peut dire qu’il ne s’est jamais révélé si humain.

Manolito

Dans les coulisses du prochain album de Tapage - Part 2


Nouvelle incursion dans le processus d'enregistrement de 8, déjà à moitié ébauché et dont les premiers extraits que nous a fait parvenir sous le manteau le beatmaker hollandais augurent d'un fort bel équilibre entre production vaporeuse, mélodies oniriques et beatmaking feutré proche du trip-hop. Autant dire que de jolies surprises vous attendent en exclu dans nos pages, mais d'ici là ces quelques démos enregistrées en France par son groupe The Void* auquel Tijs Ham fait référence plus bas devraient égayer la lecture des amateurs de drone stellaire en clair-obscur.


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Tapage - 8 : Following the process of writing an album, part 2.

Time for the second studio update ! I've been spending most of my time composing the past week. For me, that means spending a lot of time in 'Renoise', writing melodies, harmonies, beats and whatnot. The sound of the album is becoming more and more clear to me which makes it easier get through some of the difficult artistic choices.

This album features a lot more acoustic instruments compared to my previous output. In the clip below you can hear some heavily manipulated piano sounds. I recorded the piano at my parents place, through a patch I coded in the audio programming language SuperCollider. Later on I layered several of these recordings to create an ambient breakdown, followed by some breakbeat heavy beatwork (I'm especially happy with how the clap sounds btw... sampled it from an applause recording... which occurred after one of the gigs I played with my band The Void*).


For some of you reading this, the 'Renoise' program may seem a bit odd at first. It looks and acts a lot different from some of the more popular DAW's out there. For me it's a very natural way of working since it looks a lot like the programs I used when I just started out (FastTracker 2).

Thank you and keep listening !

Tapage

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Traduction

C'est l'heure du second compte-rendu de studio ! La semaine dernière, j'ai passé le plus gros de mon temps à composer. Pour moi, cela signifie passer beaucoup de temps dans le logiciel Renoise, à écrire des mélodies, des harmonies, des beats et autres joyeusetés. Le son de l'album devient de plus en plus clair pour moi, ce qui me facilite quelques-uns des choix artistiques difficiles.

Cet album comporte beaucoup plus d'instruments acoustiques que le précédent. Dans le clip ci-dessous, vous pouvez entendre des sons de piano fortement manipulés. J'ai enregistré le piano chez mes parents, via un patch que j'ai codé dans le langage de programmation audio SuperCollider. Plus tard, j'ai empilé plusieurs couches de ces enregistrements pour créer une rupture ambient, suivie par un travail rythmique lourd en breakbeats (je suis d'ailleurs particulièrement content de la façon dont sonnent les clappements... échantillonnés à partir d'un enregistrement d'applaudissements... qui avaient eu lieu après l'un des concerts que j'ai joués avec mon groupe The Void*).

Pour certains d'entre vous qui lisez ceci, le programme Renoise peut sembler un peu étrange au premier abord. Il se présente et se comporte très différemment des stations audio-numériques les plus populaires que l'on peut trouver. Pour moi, c'est une façon très naturelle de travailler, car il ressemble beaucoup aux programmes que j'utilisais lorsque j'ai débuté (par exemple FastTracker 2).

Merci et restez à l'écoute !
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On en parlait la dernière fois, quittons-nous donc sur une photo des enregistrements de violoncelle qui viennent de débuter, avec Dianne Verdonk derrière l'instrument :


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Quelques liens